La peinture russe contemporaine, fortement modelée par les exigences de l'époque soviétique, est généralement restée étrangère aux tendances qui ont travaillé les recherches esthétiques occidentales, et notamment, elle a, pour l'essentiel, ignoré l'abstraction. On ne saurait donc l'aborder avec la culture iconologique qui nous est de venue naturelle, car elle demande à être située dans une histoire qui lui est propre et qui permet d'en saisir l'originalité. Non pas que la création artistique ait été, comme on a tendance à le croire trop vite, complètement étouffée durant la période soviétique (qui elle-même, sous ce rapport, ne se caractérise pas par une attitude monolithique à l'égard des artistes). Il reste cependant que la difficulté pour les créateurs d'avoir des contacts réguliers avec leurs homologues occidentaux durant la période qui va de 1930 à la fin des années soixante, époque du "dégel" littéraire et artistique, a placé les peintres russes dans l'obligation de tirer parti du mouvement des recherches en cours ailleurs, d'un fonds qui leur appartenait en propre et qu'on pourrait présenter, pour simplifier, selon trois axes principaux : - l'extraordinaire richesse des recherches futuristes qui ont laissé la marque d'un foisonnement créatif avant-gardiste jusqu'à la fin des années trente; - le souci de la référence à l'histoire picturale, entraînant des attitudes de réappropriation des oeuvres du passé, avec le risque de tomber dans une manière d'académisme commémoratif souvent encouragé par le pouvoir; - la tradition du dessin et de l'imagerie populaire, forte en Russie, et très typée, renforcée par le fait que de nombreux artistes ont été conduits à travailler pour l'édition, et souvent même, formés dans cette perspective. Il reste que la peinture contemporaine russe cherche de toute évidence à renouer librement les fils de son histoire, à quoi s'ajoute une vive curiosité pour ce à quoi elle est restée étrangère du fait de son "enfermement" relatif. Aussi voit-on s'élaborer un langage préservant les spécificités de la tradition picturale russe et soviétique tout en nouant le dialogue avec les grandes oeuvres occidentales. La peinture de Sibérie occidentale est tout à fait représentative de cet effort, se nourrissant des thèmes locaux (paysages, éléments des cultures traditionnelles, influences chamaniques) et cherchant à les réinvestir dans un langage original, en rupture avec des dogmes (souvent stériles) du réalisme socialiste. Si elle frappe bien sûr par sa vigueur et sa diversité - marques évidentes d'une réelle ébullition créatrice, dont les enjeux sont évidents en une époque d'ouverture du monde -, par le recours à de multiples techniques (fusain, gouache, couteau, collage, techniques empruntées à la peinture d'icônes...), s'en dégagent néanmoins trois caractères permanents : le souci de la couleur, la prééminence du trait, la réinterprétation de l'espace figuratif. Les dix peintres que nous avons retenus, parmi une bonne cinquantaine d'autres, ont ceci en commun, que leur travail aboutit à la production d'un réel habité de forces contradictoires, comme en témoigne le recours très fréquent à la citation et/ou au collage stylistique. De toute évidence, leur démarche se situe aux antipodes du maniérisme et de l'esthétisme formel et s'inscrit résolument comme un acte questionnant le sens du présent. Cette peinture demande : elle demande ce qu'il en est de peindre dans le monde post-soviétique, et comme il est possible de la faire; elle demande du coup quel est ce monde (qui se cherche) et ce faisant elle le construit tout de même qu'elle se construit. On est loin, on le voit, de la célébration d'une réalité de commande, qui, un temps, a passé pour être la règle. Les artistes présentés vivent et travaillent tous en Sibérie orientale, dans la région d'Irkoutsk. Quoique certains d'entre eux soient très jeunes, ils ont tous participé à des expositions collectives hors de Russie, particulièrement au Japon, ce qui s"explique par la proximité géographique, mais aussi en Allemagne et dans d'autres pays de l'Europe. Depuis quelques années, les expositions-ventes coréalisées par le SIBART d'Irkoutsk et l'Hôtel Drouot, à Paris et en Sibérie, sont le signe de l'intérêt croissant porté à ce que l'on peut appeler la nouvelle peinture sibérienne.

Analyse d'Emmanuel Malherbet :

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